La France, ce beau pays, qui expulse artistes, femmes et enfants, un 6 décembre…

6 décembre 2013


La France, ce beau pays, qui expulse artistes, femmes et enfants, un 6 décembre…

le bloc Paris

Dans le 19ème arrondissement de Paris , il y a ce qu’on appelle « les petites villas de Mouzaïa » , des maisonnettes colorées et pittoresques. Et il y a le BLOC (Bâtiment Libre Occupation Citoyenne) , un squat qui compte environ 200 personnes dont artistes, femmes et enfants. Enfin, il y AVAIT. Ce vendredi 6 décembre, les forces de l’ordre sont venues condamner le BLOC. Et ses habitants. Aucune trêve hivernale – pourtant stipulée dans la loi du 29 juillet 1998 contre l’exclusion ( loi Aubry) – ne s’applique pour les squats. Qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il grêle, rien n’y fait. Oust ! Dehors. Point.

5 décembre. La veille. A l’annonce sur les ondes de Nova de la fermeture du squat 58-62 rue de Mouzaïa, je prends manteau et gants et m’en vais vadrouiller de ce coté du 19ème. Je veux voir de mes propres yeux ce qui me paraît impensable en France en plein mois de décembre : une mise à la rue.

A l’entrée du BLOC, il y a Djawad*. Il me salue :

– « Je t’ai déjà vue ici, non ?

– Non, c’est la première fois.

– Alors il faut que je te montre avant… Ils viennent demain. C’est la fin, quoi.

– Ils ? Les flics ?

– … »

J’apprends qu’il est musicien de Gnawa. Je n’en saurai pas plus. Il se propose d’être mon guide. Il faut dire que le BLOC est un véritable dédale de couloirs, 4 sous-sols et 7 étages. Je le suis.

Dans le hall, les habitants se rassemblent. Ça discute. L’ambiance est étrangement calme. Soucieuse. J’apprends que ce sont les derniers résistants. Beaucoup – dont les familles, que je ne verrai pas – ont déjà levé le camp. Les meubles plus ou moins cabossés, épars ici et là, auraient dû me mettre la puce à l’oreille.

Au premier sous-sol, Djawad me montre la salle de répétition de théâtre et le cinéma. « Il y avait une programmation pour ces prochains mois. Plein de projets. Tout est annulé ! » confie mon guide. Pourquoi ferment-ils les lieux ? Le musicien me répond que la Mairie veut récupérer le bâtiment : « il y a aussi eu des plaintes du voisinage parce qu’il y avait beaucoup de fêtes et il y a eu des histoires… ». Lesquelles ? Silence. Mon hôte ne veut manifestement pas trop s’étendre là-dessus.

Dans un des espaces, nous croisons un musicien qui gratte quelques notes sur sa guitare à trois cordes, orphelines des trois autres. La mélodie est nostalgique. Les tracts qui jonchent le sol à cet endroit rajoutent à cette impression de concerto final avant tomber de rideau.

Nous montons aux étages. Les couloirs sont peinturlurés de graffs. Rose, bleu, vert, orange, mauve, les couleurs explosent sur les murs du BLOC. Un immense Shiva menaçant, tout de jaune feu et rouge sang, semble nous narguer. Il tient un crâne dans l’une de ses innombrables mains : un message annonciateur ou une piqûre de rappel, celle que tout est finalement bien éphémère en ce bas monde.

Djawad m’invite dans sa chambre. 12 m². Petit mais il y fait chaud. Je lui demande où il va loger après. Chez un ami. En attendant. Il a un petit sourire. Fugace, le sourire. Je lui demande pourquoi. « On va continuer le BLOC. On a déjà repéré un autre lieu… ».

Je le quitte sur cette promesse.

6 décembre. 17h15. Quatre camionnettes et une rangée de CRS bloquent une partie de la rue de Mouzaïa. Le bâtiment a été vidé. Quelques personnes sont encore là près des forces de l’ordre. Calmes. Résignées ? Une jeune femme crie pourtant : « vous n’avez pas le droit. C’est chez moi ici ! ». Ses paroles se perdent en échos dans la rue désertée.

Paris aime-t-il l’expérimentation ?

Paris, ville de la culture et des artistes. Ville d’une certaine culture. Institutionnelle. Celle qui, souvent, glorifie son âge d’or de capitale des Arts… Quid de la création contemporaine de quartier ?

Le squat, c’est également un lieu de solidarité qui accueille sans-papiers et mal-logés. Pour la sociologue Florence Bouillon, il est un phénomène révélateur des apories du logement ordinaire à une époque donnée. Et en effet, la fondation Abbé Pierre estime à 100 000 le nombre de demandeurs de logements sociaux, cette année, à Paris…

Le BLOC condamné, j’en viens à la triste conclusion que NON, Paris n’aime pas ses artistes. Plus grave encore : NON, au fond la capitale – terre socialiste qui plus est – n’aime pas non plus l’expérimentation sociale et la diversité culturelle ! Et OUI, en France, on met des personnes précaires à la rue un 6 décembre…

* le prénom a été modifié

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